Histoire de l'édition d'annuaires

Les plus anciens annuaires canadiens qui existent encore sont ceux de la ville de Québec; il s'agit du premier numéro du Directory for the City and Suburbs of Quebec, publié en 1790, et du deuxième numéro, publié en 1791. Ils renferment la liste alphabétique de tous les hommes de la ville âgés de seize ans et plus. Dans son introduction à l'annuaire de 1791, Hugh MacKay parle du but de sa compilation:

La paix et la sécurité d'une société dépendent en grande partie d'une bonne surveillance policière et cette surveillance peut difficilement être exercée par le pouvoir judiciaire si une ville populeuse n'est pas répertoriée de façon qu'on puisse discerner d'un seul coup d'œil ses habitants et leurs professions pour découvrir les réceptacles de l'oisiveté et du vice 1. [traduction]

Le but d'annuaires

L'idée de classement et de visualisation de la société revient souvent dans l'histoire de la publication des annuaires, bien que généralement dans un but plus commercial que moral. E. Mallandaine, compilateur et éditeur du First Victoria Directory en 1860, déclare dans ses remarques préliminaires que « le temps est pleinement venu pour notre belle ville de Victoria, en raison de son importance, de posséder son propre annuaire, signe de progrès commercial 2 » [traduction]. L'introduction de chaque annuaire publié par R.L. Polk & Co. mentionne que « l'annuaire est un miroir qui transmet au monde un reflet fidèle de la ville » [traduction].

Depuis toujours, l'annuaire vise à faciliter la communication entre l'acheteur et le vendeur, à servir d'outil de publicité et de commercialisation au sein d'une collectivité et à faire connaître cette collectivité et ses avantages à un public plus vaste. Les renseignements contenus dans de nombreux annuaires sur la profession, l'adresse, le statut de locataire ou de propriétaire et le numéro de téléphone des habitants sont utiles pour la commercialisation. L'annuaire systématique des entreprises ou le guide de l'acheteur, ainsi que les annonces publicitaires en abondance dans la plupart des annuaires s'adressent aux personnes à la recherche d'un produit ou d'un service particulier.

La disponibilité des collections d'annuaires rassemblées par des bibliothèques comme Bibliothèque et Archives Canada et d'autres établissements a permis aux généalogistes, aux historiens et autres chercheurs d'utiliser les annuaires de nombreuses et de perses façons. Avides de reconstituer l'histoire des familles, les généalogistes sont peut-être les utilisateurs les plus assidus des annuaires. Ceux-ci servent souvent à retracer les personnes manquantes et les parents naturels. Ils permettent de déterminer les dates approximatives d'arrivée et de départ d'une personne, ses changements de profession et d'adresse dans une localité.

On peut découvrir aussi l'évolution sociale, économique et physique d'une ville ou d'une région en étudiant les annuaires parus à leur sujet au cours des années. Les éditeurs d'annuaires de ville ont généralement essayé d'y inclure le nom de tous les hommes de plus de dix-huit ans; l'examen de leur profession fournit un aperçu de tous les niveaux de la société.

Les annuaires provinciaux, source de renseignements sur les habitants des petites villes et des villages, fournissent en général des listes plus courtes des gens d'affaires et des membres des professions libérales. Le Lovell's Province of Quebec Directory for 1871 attribue une population de 175 habitants au village d'East Templeton, mais 26 noms seulement figurent sur la liste.

Quelques annuaires provinciaux mentionnent les villages autochtones; toutefois, le nombre d'autochtones inscrits est fort peu élevé. Le village iroquois de Saint-Régis cité dans le Lovell's Province of Quebec Directory for 1871 est une des rares notices qui énumèrent plusieurs chefs iroquois de même que le missionnaire, l'officier autochtone et le maître de poste.

Comme les annuaires résultent généralement du développement urbain et commercial, ils portent moins sur les habitants des régions rurales. Plusieurs annuaires publiés pour les comtés de l'Ontario, particulièrement entre les années 1870 et 1910, fournissent la liste des cultivateurs de chaque canton, précisent s'ils sont locataires ou propriétaires francs, indiquent la concession et le numéro du lot où se trouve leur propriété, ainsi que l'emplacement du bureau de poste le plus proche. Il existe peu d'annuaires de comté dans les provinces autres que l'Ontario.

Dans les annuaires du XIXe siècle et du début du XXe siècle, les femmes sont rarement présentes, à l'exception des femmes célibataires, des femmes occupant un emploi et des veuves. Dans la préface de son annuaire de Hamilton de 1901, Henry Vernon écrit :

Dans l'annuaire alphabétique, le nom, adresse et profession des femmes sont maintenant inscrits pour la première fois. C'est vrai qu'on cherchera en vain le nom des garçons de course ou le nom de la fille de la maison qui cherche naturellement à éviter la publicité non désirée que donne l'annuaire 3...  [traduction]

Plus récemment, on inscrit les femmes mariées avec leur mari, et les annuaires actuels leur consacrent souvent des entrées distinctes classées par ordre alphabétique.

A.B. Cherrier, compilateur des annuaires de la ville de Québec dans les années 1880, fait remarquer discrètement la caractéristique suivante de son annuaire : « Les noms des résidents de maisons mal famées ne sont pas inscrits dans le guide des rues, on ne les trouvera donc pas dans l'annuaire alphabétique 4. » [traduction]

Les informations diverses et géographiques

Les pers renseignements et les répertoires géographiques inclus dans de nombreux annuaires peuvent aussi se révéler très précieux pour étudier le développement d'une ville ou d'une région. Les annuaires municipaux et provinciaux du XIXe siècle et du début du XXe siècle renferment une grande quantité de renseignements pers sur les administrations municipale, provinciale et fédérale. On y trouve aussi des listes d'établissements comme les bureaux de poste, les églises, les tribunaux, les banques, les hôpitaux et les écoles, ainsi que des listes de bénévoles, de sociétés littéraires et scientifiques, d'associations, de cercles philanthropiques, de personnel militaire, de périodiques et de journaux publiés à l'époque. On peut aussi y lire un certain nombre de statistiques concernant la démographie et l'agriculture.

Certains annuaires comportent d'assez longues descriptions historiques des lieux qu'ils touchent. Plusieurs décrivent les industries et les ressources locales et on peut utiliser ces descriptions conjointement avec l'annuaire systématique des entreprises pour étudier le développement d'une industrie ou d'une profession.

Hunter, Rose & Co.'s City of Ottawa Directory for 1870-71 montre très bien les détails fascinants qu'un chercheur peut trouver dans un annuaire. L'extrait suivant sert à la fois de description et de publicité concernant la tannerie d'Ottawa :

Les bâtiments ont plus de deux étages et demi de hauteur, 30 pieds de large sur 120 pieds de long et sont situés sur la rue Saint-Paul, près du bassin du canal. On a récemment ajouté à cet établissement un bâtiment à charpente de deux étages, mesurant 60 pieds sur 20, où se trouve, au rez-de-chaussée, un moteur à vapeur de vingt chevaux, avec chaudière et salle de lessivage contenant deux grandes fosses à jusée; le deuxième étage sert d'atelier de tannage et de salle de chauffage. M. Woodland emploie environ dix personnes et produit environ six mille pans de cuir apprêtés chaque année. Il traite aussi les cuirs pour semelles, les cuirs de veau, le cuir, les peaux de mouton, les huiles, les basanes et les maroquins  5. [traduction]

Les entrées des répertoires géographiques de certains villages proches d'Ottawa, aussi inscrites dans cet annuaire, sont souvent instructives et intéressantes. L'inscription d'Aylmer met l'accent sur l'architecture et le transport :

Les édifices publics sont de pierre, solidement construits et coûtent dix mille livres... Un des bateaux à vapeur de première classe de l'Union Forwarding Company part chaque jour à destination de Pontiac et assure la liaison avec les bateaux à destination de Pembroke[,] Des Joachim et d'escales intermédiaires. Des diligences partent chaque jour d'Ottawa à destination d'Aylmer  6. [traduction]

À compter du milieu du XXe siècle, les annuaires sont publiés par quelques grands éditeurs seulement et sont généralement d'un style et d'un contenu plus uniformes. Ils présentent moins ce genre de renseignements variés dont on a parlé plus haut, mais ils renferment encore des listes des représentants municipaux, provinciaux et fédéraux, de même que de brèves descriptions des avantages commerciaux, industriels, sociaux et naturels de la ville ou de la région.

Tous les annuaires ont en commun une abondance d'annonces publicitaires apparaissant sur la couverture, au dos et sur les tranches, groupées au début et à la fin de l'ouvrage et placées sur les pages entre les colonnes et à côté de celles-ci. La présentation de ces annonces varie : certaines ont une seule ligne, comme « Si vous cherchez de beaux vêtements, venez chez J.W. Clemens, au Kranz's Old Stand 7 » [traduction], répétée sur de nombreuses pages de l'annuaire de Berlin de 1893, tandis que d'autres revêtent la forme de cartes professionnelles aux bordures élégantes et aux caractères fort variés, comme dans les annuaires de Montréal publiés par MacKay dans les années 1840. Les annonces publicitaires demeurent une source précieuse de renseignements sur les services, les produits (vêtements, machines, médicaments et alimentation) et les pertissements mis à la disposition d'une société. La plupart des annuaires fournissent un index des annonceurs.

De nombreux annuaires contiennent aussi des photographies, des illustrations et des cartes. Les annuaires de la ville de Toronto des années 1920, par exemple, renferment plusieurs photographies d'édifices de la ville. Les livres bleus de Montréal publiés par Dau Publishing présentent les plans d'un certain nombre de théâtres et de salles de concert de la ville.

Fréquence de publication

La coutume de publier des annuaires chaque année ne s'est établie au Canada que vers les années 1840 avec la publication des annuaires de Montréal par John Lovell et Robert W. Stuart Mackay. De 1790 à 1840, la publication d'annuaires était peu fréquente. Après l'édition de 1791, il a fallu attendre jusqu'en 1822 pour que paraisse l'annuaire suivant de la ville de Québec. Tout comme à Montréal, les annuaires de Québec n'ont pas paru de façon régulière avant le milieu des années 1840. Dans son introduction du Répertoire des annuaires canadiens, 1790-1950, Dorothy E. Ryder rappelle que les annuaires de Québec de 1790 et de 1791 avaient été commandés par le Conseil législatif dans le cadre d'un projet de recensement. Toutefois, comme la demande de l'édition de 1791 ne suffisait pas à payer le papier, on a cessé la publication de l'annuaire. Tout au long de leur histoire, les annuaires n'ont été publiés que dans la mesure où ils étaient rentables.

Les annuaires des provinces ont été publiés moins fréquemment que ceux des villes et, en général, ils se sont malheureusement limités à la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Le plus ancien annuaire de ce genre est le Province of Canada Directory for 1851, qui établit la liste des villes et des municipalités des futures provinces de Québec et de l'Ontario. Les annuaires de la Colombie-Britannique demeurent l'exception puisqu'ils ont paru assez régulièrement entre 1880 et 1948.

L'étude des anciens annuaires des grandes villes révèle souvent que de nombreux éditeurs se sont disputés le marché des annuaires. Ces éditeurs étaient souvent des imprimeurs, des papetiers ou des éditeurs de journaux. De 1861 à 1891, dix éditeurs ont publié les annuaires de la ville d'Ottawa avant que Might Directories domine le marché. Dans l'avis qu'il adresse au public dans son City of Hamilton Directory de 1888 et de 1889, W.H. Irwin montre bien la concurrence qui existe entre les éditeurs. Dans cet avis, il expose la supériorité de son annuaire de Hamilton sur celui de son concurrent R.L. Polk & Co. de Detroit, et il demande :

Si un Canadien entreprenait la publication d'un annuaire de la ville de Detroit, siège social et résidence de Messieurs R.L. Polk Co., quelles seraient ses chances de réussite? N'entendrait-il pas dire très vite qu'il y a suffisamment d'intelligence, de patriotisme et d'encouragement à l'échelle locale sans l'interférence de CANADIENS et d'ÉTRANGERS  8? [traduction]

Les commentaires d'Irwin semblent prédire la décision de R.L. Polk Co. prise en 2000 de cesser la publication de tous les annuaires canadiens. Vernon Directories et Lovell Litho and Publications figurent parmi les quelques éditeurs d'annuaires canadiens encore en activité aujourd'hui.

Sollicitation de porte en porte

La plupart des éditeurs, anciens et actuels, ont employé la même méthode pour recueillir les renseignements nécessaires à leurs annuaires, à savoir la sollicitation de porte en porte. L'information est fournie de plein gré à la personne qui se présente à la porte et, lorsqu'il n'y a personne à la maison, le solliciteur laisse un feuillet de renseignements que le résidant est libre de remplir et de retourner à l'éditeur.

Les solliciteurs étaient souvent des personnes embauchées au hasard par l'éditeur; toutefois, pour l'annuaire de Fredericton de 1918, l'éditeur souligne que « les filles de l'Empire... se sont entièrement chargées de la sollicitation 9.  [traduction]

Dans le domaine des annuaires, la sollicitation de porte en porte a créé de nombreux problèmes tels que le manque de détails et d'exactitude, comme le font remarquer plusieurs éditeurs dans leurs préfaces. McAlpine, Everett Co., éditeur de l'annuaire d'Ottawa et de Kingston de 1875, écrit que les solliciteurs, par crainte de la variole, ont refusé d'entrer dans certaines maisons. A.S. Woodburn, éditeur d'un autre annuaire d'Ottawa de 1875, écrit ceci :

Dans certains secteurs de la ville, on rencontre encore quelque difficulté à obtenir les renseignements nécessaires parce que bien des personnes pensent qu'on demande les noms soit pour le service militaire, soit pour l'ajout de quelque redevance locale ou d'une odieuse taxe sur l'eau. Des omissions ont pu en résulter et, comme il y a sans cesse des changements entre le moment de la sollicitation et la publication de l'annuaire, en raison notamment des déménagements, on ne peut pas s'attendre à une exactitude absolue  10. [traduction]

Abonnés

Les utilisateurs des annuaires sont censés s'abonner chaque année. En 1880, l'abonnement à l'annuaire Cherrier de la ville de Québec coûtait trois dollars. En 2000, les annuaires de R.L. Polk coûtaient entre 180 $ et 300 $. L'abonné retournait habituellement l'annuaire à l'éditeur à la fin de l'année et pouvait alors en louer un nouveau.

Conservation

Destinés à une utilisation d'assez courte durée, les annuaires ont une qualité de papier et de reliure souvent médiocre et ils se détériorent rapidement si on les utilise beaucoup. Les établissements qui, comme Bibliothèque et Archives Canada, conservent des collections d'anciens annuaires, tentent de surmonter ce problème de conservation en désacidifiant les annuaires; ils ont aussi recours à la microreproduction et, plus récemment, à la numérisation des annuaires. Ils espèrent ainsi améliorer l'accès au contenu des annuaires et conserver ceux-ci en pers formats pour les futurs chercheurs.

Notes

1. Hugh MacKay, Number ll of the Directory for the City and Suburbs of Quebec (Québec : Imprimé par William Moore, au Herald Printing Office, 1791), p. iii.

2. Edward Mallandaine, First Victoria Directory (Victoria : Edward Mallandaine,1860), préface.

3. Henry Vernon, Vernon's City of Hamilton, Twenty-eighth Annual, Street, Alphabetical, General, Miscellaneous and Classified Business Directory for the Year 1901 (Hamilton : Henry Vernon, 1901), préface.

4. A.B. Cherrier, Cherrier's Quebec City and Levis Directory, Established in 1858, for the Year Ending May 3,1883 (Québec : Cherrier Co., 1883), p. [73].

5. Hunter, Rose Co., Hunter, Rose Co.'s City of Ottawa Directory for 1870-71, comp. W.H. Irwin (Ottawa : Hunter, Rose & Co., 1870), p. 216.

6. Ibid., p. 221.

7. Union Publishing Co., Berlin and Waterloo Directory, 1893 (Ingersoll : Union Publishing, [1893?]), p. 8.

8. W.H. Irwin & Co., City of Hamilton Directory (Hamilton : W.H. Irwin Co., 1889), p. 443.

9. Maritime Directory Co., Fredericton Directory (Halifax : Maritime Directory Co.,1918), préface.

10. A.S. Woodburn, Ottawa Directory 1875 (Ottawa : A.S. Woodburn, 1875), préface.

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