Le catalogue Christie Grant
Midsummer Sale, 1918
© Domaine public
Les catalogues de vente par correspondance existent au Canada depuis les années 1880. Pendant de nombreuses années, les gens qui vivaient dans les régions isolées de notre pays les ont ardemment attendus. Le catalogue Eaton a été tellement indispensable et chéri que, dans tout le pays, on l'a affublé de toutes sortes de surnoms affectueux comme : la Bible, la Prairie Bible, la Homesteaders' Bible, la Bible des fermiers, le livre de l'espoir, le livre des souhaits, le livre des désirs, ou simplement le Livre. Bien d'autres magasins ont également produit des catalogues qui ont fait leur place dans la vie et dans le cœur des gens.
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Le début de l'histoire des catalogues
En 1884, Timothy Eaton produisait un petit catalogue rose de 32 pages contenant une liste d'articles et de prix qu'il a distribué aux visiteurs de l'Exposition industrielle (maintenant connue sous le nom d'Exposition nationale canadienne) de Toronto. Le printemps suivant, il publiait une brochure de 6 pages annonçant son nouveau service des commandes postales. Si le catalogue Eaton n'était pas le premier catalogue de vente par correspondance d'Amérique du Nord, il était le premier catalogue distribué par un détaillant canadien.
Il a fallu attendre dix ans avant que Simpson produise son premier catalogue de vente par correspondance. Eaton s'était déjà emparé d'une grande part de ce marché. Dès 1896, le service des commandes postales d'Eaton expédiait 135 000 colis par la poste et près de 74 000 par service express.
Au début, la création d'une liste d'adresses postales s'avérait essentielle au succès. Eaton a dressé sa liste en offrant à ses clients existants des cadeaux en échange des noms et adresses de leurs amis et de leurs voisins. C'est ainsi, par exemple, que la femme d'un fermier missionnaire du nord de la Colombie-Britannique a reçu un manteau d'hiver en échange de la liste de ses voisins.
Eaton s'est efforcé de mettre ses catalogues entre les mains du plus grand nombre possible de clients ruraux. Les gens des villes figuraient aussi sur la liste d'envoi et tous les clients étaient invités à visiter le magasin. Eaton s'attirait la clientèle des consommateurs ruraux qui se rendaient périodiquement en ville en leur offrant des installations comme des salles d'attente pour les fermiers où les clients des régions rurales pouvaient se reposer et se détendre avant de poursuivre leur magasinage. Cette tactique semble avoir été efficace puisque les ventes en magasin ont continué à surpasser les ventes par correspondance.
Le catalogue no. 44
P.T. Legaré, 1920
© Domaine public
P.T. Legaré, détaillant canadien-français de Montréal, a distribué son premier catalogue en 1910. Goodwin, également de Montréal, a suivi en 1911. Dupuis Frères, un autre détaillant canadien-français, a mis sur pied son service de commandes postales en 1922. Army and Navy, magasin de l'Ouest canadien, a commencé à en produire un en 1924 et Canadian Tire, en 1928. À la fin des années 1920, Hudson Bay, Morgan et Woodwards avaient eux aussi un service des commandes postales.
Les clients francophones devaient se contenter de catalogues rédigés en anglais, mis à part ceux de Dupuis Frères et de P.T. Legaré. Eaton a produit un catalogue en français en 1910, mais n'a répété l'expérience qu'en 1927. Par conséquent, les clients francophones devaient se contenter de regarder les images et les prix. On préférait que les clients écrivent leurs commandes en anglais, mais s'ils en étaient incapables, ils pouvaient le faire en français et s'attendre à recevoir une réponse dans leur langue.
Il est intéressant de noter que, lorsque le catalogue d'Eaton a enfin paru dans les deux langues, le catalogue français n'était pas une traduction de l'anglais. On trouve par exemple deux descriptions différentes d'un sous-vêtement pour filles. La description anglaise mentionne que le vêtement « not slide or ride up », alors que la version française du même article dit qu'il est « élastique, ferme et durable ».
Plusieurs grands détaillants produisaient des catalogues distincts ou des encarts spéciaux pour des groupes cibles particuliers. Dupuis Frères, par exemple, imprimait des catalogues pour le grand public ainsi que pour des clients en particulier. Créés pour servir une clientèle canadienne-française et catholique, ces catalogues avaient, pendant assez longtemps, des instructions sur la façon de prendre les mesures pour une soutane à l'endos du formulaire de commande. Dupuis Frères publiait aussi un catalogue séparé pour le clergé catholique.
Eaton ciblait des marchés particuliers comme les colons, les mineurs et les prospecteurs du Klondike, produisant des catalogues uniques pour ses clients de l'Ouest et des Maritimes. Afin d'accélérer la livraison, il a ouvert à Winnipeg, en 1905, un magasin effectuant sur place toutes les opérations liées au catalogue. En 1918, il construisait un bâtiment réservé aux commandes postales à Moncton.
Les premiers catalogues de vente par correspondance n'avaient ni illustrations ni couleurs. Les catalogues ont commencé à offrir des illustrations vers 1887 et certaines pages, notamment celles qui annonçaient des vêtements, des tissus et des jouets, ont reçu de la couleur en 1915. Les catalogues de 1919 utilisaient une combinaison de photographies et de dessins au trait, comme des photos de têtes montées sur des corps dessinés. Les résultats étaient parfois très étranges.
Les premières années, on annonçait surtout les vêtements pour dames et pour enfants; seule une petite section était réservée aux hommes. Progressivement, on a ajouté d'autres catégories d'articles : les matelas, les livres, les articles en papier et, plus tard, la verrerie, la porcelaine, l'argenterie, les lampes et les médicaments. Au début des années 1890, on vendait des meubles par catalogue et, au milieu des années 1890, c'était au tour des machines et des instruments agricoles. Au cours des années 1910 et 1920, un bricoleur pouvait commander les matériaux nécessaires à la construction d'une maison ou d'une grange!
On peut retracer l'avènement de nombreuses innovations technologiques dans les pages des catalogues de vente par correspondance. Qu'il s'agisse de l'électricité, des installations modernes de plomberie, des appareils ménagers tels que les machines à laver -- les catalogues attestent de l'arrivée sur le marché de toutes ces nouveautés qui ont changé la vie des gens.
Si les commandes postales continuent de se développer chez les détaillants d'aujourd'hui en adoptant une forme contemporaine, celle du commerce électronique, les joueurs ne sont plus les mêmes. Eaton a publié son dernier catalogue en 1976, les catalogues de Dupuis Frères n'existent plus depuis 1963 et Simpson, qui avait fusionné avec la compagnie américaine Sears pour devenir Simpson-Sears, a vendu son commerce de vente par correspondance à Sears au cours des années 1980.
Dix autres usages
Chaque automne et chaque printemps, le catalogue tant attendu arrivait enfin. C'était un événement semblable à la visite maintes fois retardée d'un parent éloigné. Chacun y trouvait son compte. Pour plusieurs enfants, l'arrivée du plus récent catalogue signifiait qu'ils pouvaient enfin mettre la main sur l'ancien catalogue pour s'amuser.
L'hiver, les gens passaient des journées et des soirées plongés dans le catalogue, rêvant aux possibilités qu'il offrait. Mais, en plus de permettre de commander des produits à distance, le catalogue servait à plusieurs usages. Certains peuvent paraître surprenants de nos jours, en cette période où les divertissements sont à la portée de la main; pensons à la télévision, à la radio, aux livres, au cinéma, au théâtre ou au centre sportif local.
Voici dix utilisations (choisies au hasard) qu'on faisait des catalogues de vente par correspondance dans le passé, en plus de servir à commander des produits :
- Les petites filles parcouraient le catalogue à la recherche de personnages à découper pour faire des poupées en papier. Elles cherchaient ensuite des vêtements pour les habiller. Elles se fabriquaient parfois des familles entières de personnages en papier pour s'amuser. Elles découpaient même des meubles pour meubler les maisons de poupée qu'elles se fabriquaient.
- Des images découpées dans de vieux catalogues servaient souvent à réaliser des projets scolaires ou à orner des albums de coupures.
- Les garçons attachaient des catalogues sur le devant de leurs jambes en guise de jambières de gardien de but lorsqu'ils jouaient au hockey.
- Dans de nombreuses écoles de campagne, les enseignants se servaient des catalogues pour enseigner la lecture aux enfants. C'était parfois le seul livre qu'ils avaient à lire. On les découpait aussi pour réaliser des alphabets illustrés.
- Certains immigrants adultes qui ne parlaient pas l'anglais s'aidaient du catalogue pour apprendre de nouveaux mots; en étudiant les images et les descriptions, ils enrichissaient leur vocabulaire et apprenaient aussi l'orthographe.
- Les femmes attendaient avec impatience l'arrivée du catalogue pour se tenir au courant des dernières modes. En s'inspirant des illustrations qu'il contenait, elles créaient leurs propres patrons, qu'elles découpaient dans des journaux, et cousaient les vêtements pour la famille.
- Les colons découpaient des images dans les catalogues pour décorer les murs de leur maison.
- Certains arrachaient les pages du catalogue, les chiffonnaient et s'en servaient comme isolant pour colmater les fentes dans les murs de leur cabane.
- Pour les gens vivant dans des régions rurales éloignées, les catalogues servaient de lien culturel avec le reste du monde. Ils permettaient à de nombreux colons de se tenir au courant des tendances de la mode et de la décoration intérieure; ils leur fournissaient de nouveaux sujets de conversation, atténuaient leur solitude et stimulaient leur imagination.
- Puis le catalogue arrivait enfin à sa destination finale, les toilettes extérieures, où on l'utilisait comme tapisserie, pour une dernière lecture et enfin comme papier hygiénique.
Aujourd'hui, les anciens catalogues se révèlent de précieux outils de recherche. Leur contenu fournit d'importants renseignements aux conservateurs de musée, aux historiens, aux sociologues, aux écrivains, aux antiquaires de même qu'aux collectionneurs et aux commerçants sur les objets du passé. Les détails qu'ils contiennent offrent aux concepteurs de costumes et de décors de scène la possibilité de reproduire de façon authentique l'époque présentée. Mais il n'est pas nécessaire d'appartenir à l'une de ces catégories de personnes pour goûter le charme des anciens catalogues. Le fait de feuilleter les pages et de découvrir la saveur distincte de chaque époque peut procurer des heures de plaisir -- tout comme en ont vécu les lecteurs qui ont regardé ces mêmes pages la toute première fois.
Les acheteuses personnelles
Magasin à rayons achalandé dans les années 1890
Souvent des clients écrivaient à Eaton pour demander des articles qui ne figuraient pas dans le catalogue. Pour répondre à ce besoin, Eaton a embauché de jeunes femmes à titre d'« acheteuses personnelles ». Leur travail consistait à chercher dans le magasin les articles demandés, allant, lettre en main, d'un comptoir à l'autre. Le catalogue automne-hiver de 1886-1887 d'Eaton a présenté ces femmes comme un groupe de jeunes femmes choisies avec soin pour leur souci du détail et leur excellent jugement en matière de vêtements en vue de donner aux clients éloignés l'avantage d'une connaissance approfondie des dernières modes.
Donner suite à une commande constituait parfois tout un défi, selon que le client décrivait clairement ou non ce qu'il voulait. Les commis devaient souvent prendre des décisions à partir d'informations succinctes. Par exemple, elles devaient décider si une paire de souliers commandée était pour un enfant ou un adulte selon la taille de l'empreinte de pied tracée sur une feuille de papier jointe à la commande. Malgré les nombreux défis, les acheteuses personnelles faisaient du beau travail. De nombreux clients se sentaient tellement satisfaits des articles achetés en leur nom qu'ils adressaient des lettres de remerciements et même des cadeaux, comme un panier de fruits ou des œufs, à « Mme Eaton et sa famille ».
Dès 1887-1888, Eaton était en mesure de se vanter, dans son catalogue, de l'excellence de son service des commandes postales. Les acheteuses personnelles, y lisait-on, devaient avoir, outre une inspiration aiguë, claire et personnelle -- quelque chose de plus qu'un simple mécanisme --, de l'intuition, la capacité de voir au-delà de l'encre et du papier et de saisir la personne à servir; l'aptitude à se faire une image mentale de l'auteur de la lettre et de lire entre les lignes la pensée qui a créé les mots. Quand ces éléments étaient présents en proportions exactes, il en résultait un service des commandes postales idéal.
Le Service d'achat commandes, comme on en est venu à l'appeler, était en mesure d'offrir à la clientèle des commandes par catalogue d'Eaton non seulement des services d'achat en leur nom, mais aussi des conseils. Les acheteuses personnelles étaient là pour choisir n'importe quoi, d'un simple collet en dentelle à une garde-robe complète.
Le Service d'achat s'est développé rapidement et a gagné la confiance des clients. Les clients savaient qu'ils pouvaient demander des articles non illustrés dans le catalogue et que le choix de l'article commandé serait judicieux. Dans les rares cas où un choix fait en leur nom s'avérait insatisfaisant, les clients n'avaient qu'à retourner l'article pour obtenir un échange ou un remboursement complet.
Il arrivait parfois que les articles commandés étaient épuisés. En pareil cas, si le client l'avait indiqué, on choisissait pour lui un autre article de meilleure qualité comme substitut. Le choix était habituellement très vaste. Ainsi, on pouvait choisir parmi divers styles de gants de femmes dans 15 couleurs et parmi plus de 300 modèles de rideaux en dentelle.
Le Service d'achat a fini par nuire aux activités ordinaires du magasin. En 1890, il y avait déjà plus de 100 femmes affectées à l'exécution des commandes par correspondance. En 1900, il y en avait parfois tellement qui s'affairaient à donner suite aux commandes de clients à distance que les allées et les ascenseurs étaient bondés et que les clients en magasin avaient de la difficulté à faire leurs achats.
Le service des commandes postales avait pris une telle importance en 1903 qu'on l'a déménagé dans un bâtiment séparé à Toronto, où il a maintenu l'excellent service dont il était fier depuis de nombreuses années. Les gens pouvaient continuer à demander par la poste des articles non illustrés dans les catalogues. Au cours des années 1920 et 1930, par exemple, les acheteuses personnelles devaient souvent choisir des cadeaux pour des organismes communautaires organisant des célébrations à l'occasion de Noël.
Cependant, les temps ont changé et, en 1976, Eaton fermait son service des commandes postales après 92 ans d'activité.
Les jouets
La plupart des jouets sont éphémères, mais certains sont éternels. Comme on peut s'y attendre, les oursons en peluche et les poupées garnissaient les pages des catalogues de vente par correspondance dès les débuts. On y trouvait des poupées qui marchent, des poupées qui parlent, des poupées portant de magnifiques vêtements et des poupées ayant de véritables cheveux humains. Au cours des années 1920, « Flossie Flirt » a fait son apparition. Ses yeux bougeaient non seulement de haut en bas, mais aussi de gauche à droite! Mais la poupée préférée de nombreuses fillettes était la reine de beauté annuelle produite par Eaton de 1900 à 1984.
De nombreux jouets pour filles dans les catalogues visaient à préparer les filles à des tâches domestiques en leur offrant des services de thé, de la vaisselle, des ustensiles de cuisine, des batteries de cuisine, des fers à repasser, des balais et des porte-poussière.
Les garçons aimaient les habits de cowboy et de « police montée », les autos-jouets à pédales, les camions et les trains. Au début des années 1940, les jouets éducatifs prétendant aider à « développer l'esprit des jeunes » ont fait leur apparition. Si les descriptions étaient unisexes, les illustrations ne montraient que des garçons.
Les jeux traditionnels comme les dames, les échecs, les dominos et les cartes se trouvaient dans les catalogues il y a plus de cent ans. Étonnamment, Eaton annonçait le jeu Ouïja dans son catalogue de 1915-1916.
Les bicyclettes ont évidemment toujours été populaires, mais les modèles du début du XXe siècle étaient très différents de ceux d'aujourd'hui. Les filles de 2 à 15 ans se promenaient à tricycle, alors que les garçons enfourchaient des vélocipèdes (bicyclettes primitives à traction avant).
En feuilletant les pages des jouets d'anciens catalogues, les adultes retrouveront avec nostalgie des jouets oubliés depuis longtemps. Les enfants seront fascinés d'apprendre comment les enfants, dans le passé, s'amusaient en regardant des illustrations représentant leurs intérêts et leurs passe-temps.