Felix Cullen et son épouse, Mabel. (Avec la permission de la famille Cullen.)
Felix Cullen s'enrôle en 1914, à Toronto (Ontario). Quelques mois plus tard, il s'éveille brutalement aux réalités de la guerre dans les tranchées de la France.
La vie dans les tranchées
Felix Cullen est né en 1889, à Renfrew (Ontario). Métallo de métier, il s'est enrôlé dans le Corps expéditionnaire canadien à Toronto, le 12 novembre 1914. Le 13 mai 1915, il s'embarquait pour l'Europe et, quelques semaines plus tard, se retrouvait en France, dans les tranchées, sous le feu de l'ennemi. Felix Cullen a combattu à divers endroits sur le front européen, dont les régions de St-Éloi et de la Somme, où se sont déroulés certains des combats les plus meurtriers de la guerre.
Carte détaillée du « no man’s land » devant la 2e Division canadienne, 1916
Le nom « no man’s land » est donné à la zone située entre les tranchées alliées et ennemies, un territoire dangereux où les soldats ne se risquent que la nuit, quand la noirceur les protège un peu du tir ennemi. Cette carte montre les cratères causés par les explosions d’obus et l’artillerie lourde. Au cours des premiers mois de la guerre, la région de St-Éloi est dévastée par les combats. En relevant les forces françaises et britanniques, les Canadiens y ont trouvé un spectacle de destruction et de désolation. Felix Cullen parle des cratères de St-Éloi dans son journal personnel.
Bibliothèque et Archives Canada, NMC-0021462
Dès les premiers mois de la guerre, le combat de tranchées est omniprésent. Les autorités militaires ont adopté une stratégie offensive, où le contrôle du territoire s'exerçait et se maintenait par la construction et la prise des tranchées. La vie dans les tranchées était difficile, caractérisée par une grande quantité de travail souvent pénible et fastidieuse, entrecoupée d'épisodes terrifiants, où des milliers de soldats pouvaient perdre la vie en quelques heures. La présence des tranchées a aussi eu un effet dévastateur sur le paysage européen, qui en a longtemps gardé les traces.
Dossier militaire du soldat Felix Cullen
Le dossier militaire de Felix Cullen est un exemple typique du dossier militaire d'un soldat moyen. Il comprend son formulaire d'attestation, son état de service, sa feuille de blessures, son certificat de libération, son formulaire de gratification pour service militaire, ses cartes d'hôpital, sa fiche d'historique médical, sa fiche d'état médical, sa charte de température, son certificat de dernière paie, sa fiche d'historique dentaire et le certificat d'examen médical de sortie. La base de données, Dossiers du Personnel de la Première Guerre mondiale, permet de repérer la référence aux dossiers militaires des membres du Corps. Dans certains cas, le formulaire d'attestation de l'individu a été numérisé.
Un paysage dévasté
L'existence des tranchées et le déploiement massif de l'artillerie au début de la Première Guerre mondiale a laissé un paysage dévasté et empreint de désolation. À la fin de la guerre, l'artiste canadienne Mary Riter Hamilton s'est rendue en Europe avec, comme mandat, de peindre les champs de batailles européens où se sont illustrés les soldats canadiens. Même après la fin des hostilités, la destruction du paysage était encore évidente, comme le démontrent ces œuvres de l'artiste du mont St-Éloi et du village de Kemmel.
Vivre dans les tranchées
La vie quotidienne des soldats dans les tranchées était rarement facile ou agréable. Un effort constant était nécessaire pour entretenir les tranchées, soumises aux intempéries et au feu ennemi. Ces travaux, les soldats devaient les accomplir de nuit, afin d'éviter d'être trop exposés au tir de leurs adversaires. Outre le labeur manuel, les soldats devaient surveiller attentivement l'ennemi : ils devaient aussi participer à des opérations de reconnaissance ou des raids dans les tranchées adverses, multipliant ainsi les risques à leur vie. De plus, les soldats devaient composer avec le bruit constant des obus et des coups de feu ennemis, de même que leurs attaques, dont celles au gaz, une innovation de la Première Guerre mondiale. Pour exécuter toutes ces tâches, le soldat devait transiger avec des armes et un équipement dont le poids pouvait parfois presque doubler celui de l'individu.
Les soldats étaient aussi aux prises avec des ennemis moins tangibles que leurs adversaires allemands : la vermine, l'insalubrité et la maladie. Les poux, l'impossibilité de retirer ses bottes pendant plusieurs jours consécutifs, les intempéries et une nutrition peu variée et parfois insuffisante causaient des problèmes de santé dont certains particuliers à la vie dans les tranchées (engelures, fièvre des tranchées et stomatite de Vincent, pour n'en nommer que quelques-uns).
Cette vie de troglodytes, comme la qualifiaient certains soldats, a donné naissance à une certaine culture de tranchées, qui se manifestait entre autres par la musique, mais aussi par l'entremise de journaux destinés aux soldats, dans lesquels ceux-ci s'exprimaient en ayant recours à l'humour et à la poésie. Pendant le jour, les soldats avaient de nombreux moments pour se divertir par ces lectures, ou encore en jouant aux cartes ou en écrivant à leur famille et leurs amis au foyer. De nombreuses chansons sont issues de cette culture de tranchées, notamment la très populaire Mademoiselle From Armentières.
Bibliothèque et Archives Canada, PA-004447
Escarpement de la tranchée internationale, Ypres, avril et mai 1919
Felix Cullen mentionne, dans son journal personnel, la tranchée illustrée dans cette photographie. La région d'Ypres, en Belgique, a été la scène de certaines des batailles les plus meurtrières de la Première Guerre mondiale. Le Corps expéditionnaire canadien y a perdu plus de 6 700 soldats.
Mary Riter Hamilton, Bibliothèque et Archives Canada, C-101318
Mont St-Éloi par Mary Riter Hamilton
La région du mont St-Éloi (Belgique) a été sauvagement ravagée pendant les combats des premières années du conflit. Après la guerre, l'artiste Mary Riter Hamilton s'est rendue en Europe, afin de peindre les champs de batailles où se sont illustrés les Canadiens. Ce tableau du mont St-Éloi démontre la dévastation qui règne encore sur la région en 1919.
Mary Riter Hamilton, Bibliothèque et Archives Canada, C-104482
Chemin de Kemmel, Flandres par Mary Riter Hamilton
L'artiste Mary Riter Hamilton a peint la région de Kemmel en 1920. Voir en personne ces scènes accablantes a eu un effet important sur Mary Riter Hamilton qui, pour le reste de sa carrière artistique, ne parvint plus à peindre avec son ancienne intensité.
Bibliothèque et Archives Canada, NMC-122995
Plan des bains sur le terrain
Le maintien de l'hygiène au front est un facteur primordial dans la stratégie pour éviter la maladie. Même s'il est impossible de se laver pendant son séjour dans les tranchées, des installations à cet effet font partie des structures sanitaires des camps militaires.
Bibliothèque et Archives Canada, RG9 III-C-3, vol. 4079, dossier 8, chemise 12
Rapport du major de la 3e Brigade sur le poids porté par un soldat au combat, 17 mai 1917
Ce document donne une idée du poids en livres porté par un soldat de l'infanterie dans le combat de tranchées.
Bibliothèque et Archives Canada, RG9 III-C-3, vol. 4079, dossier 8, chemise 12
Lettre de l'officier commandant du 15e Bataillon au Quartier général sur le poids de l'équipement et des armes transportés par les soldats, 17 mai 1917
Ce document donne le poids des armes transportées par différents types de soldats.
Des poids lourds
Une des difficultés de la vie de soldat est causée par le poids de l'équipement qu'il doit porter. Outre son uniforme, le soldat doit porter ses armes, ses munitions, son casque de métal, son masque à gaz, ses outils de tranchées et ses rations. Dans certains cas, ce bagage double le poids de l'individu.
Vivre dangereusement
La guerre de tranchées était une nouvelle façon de faire la guerre. Malgré l'entraînement reçu au Canada et celui reçu en Angleterre, la réalité des tranchées était tout à fait différente. Au lieu de tranchées profondes, propres, sèches, équipées de passages en bois et de casiers pour entreposer leurs armes, les Canadiens ont dû faire face à des tranchées qui étaient essentiellement des fossés de boue, remplis d'eau stagnante et parfois même des corps des soldats qui les avaient précédés.
Ces souvenirs macabres rappelaient constamment au soldat les dangers auxquels il était soumis. Outre la menace constante des obus, le tir de l'ennemi pouvait s'activer à n'importe quel moment, emportant le soldat trop curieux qui se risquait à lever la tête ou son compatriote trop brave se risquant dans le « no man's land ». Un autre danger mortel (l'attaque au gaz) devint, dès 1916, une des facettes les plus meurtrières et les plus douloureuses de la vie de tranchées.
Bien que des mesures aient été prises pour augmenter le degré de protection des soldats, comme le casque en métal ou le masque à gaz, la survie dans les tranchées dépendait de la prudence des soldats et de leur volonté de suivre les règles.
Bibliothèque et Archives Canada, PA-001326
Tranchée sur le front canadien où sont aménagées des planques, mai 1917
Cette tranchée illustre mieux la réalité à laquelle les soldats canadiens ont eu à faire face sur les champs de bataille. Certaines tranchées étaient essentiellement des fossés boueux remplis d'eau froide et stagnante.
Bibliothèque et Archives Canada, PA-110424
Tranchée de communication, camp de Barriefield (Ontario), octobre 1916
Cette tranchée de communication (tranchée qui mène de l'arrière à l'avant du front) est une tranchée d'entraînement construite au camp militaire de Barriefield (Ontario). Il faut remarquer la propreté de la tranchée, les passages en bois et le casier pour entreposer les armes. Très peu de soldats auront la chance de voir des tranchées en aussi parfaite condition une fois sur le champ de bataille.
Bibliothèque et Archives Canada, PA-005001
Prises de vues du Quartier général - Corps vétérinaire de l'armée canadienne, Shornecliffe
L'augmentation du nombre d'attaques au gaz nécessite la distribution de masques à gaz aux troupes canadiennes. Des masques à gaz sont aussi fournis aux chevaux, qui souffrent également des émanations toxiques.
Bibliothèque et Archives Canada, MG30-E149, vol. 2, Agar Adamson War Letters, Mars 1915
Message du capitaine Agar Adamson concernant les précautions à prendre en cas d'attaque au gaz, mars 1915
Lors des premières attaques au gaz, la seule façon dont les soldats peuvent se protéger est en apposant leur mouchoir de poche sur leur nez et leur bouche et en le fixant bien en place. Certains soldats affirment que, pour être réellement efficace, le mouchoir doit être préalablement enduit d'urine.
Bibliothèque et Archives Canada, MG30-E149, vol. 4, Agar Adamson War Letters, Mai 1916
Rapport du directeur des Services médicaux de la 2e Armée sur les avantages du port du casque de métal, 7 mars 1916
Au départ, les soldats trouvent le casque de métal lourd et inconfortable et ne veulent pas le porter. Or, des analyses et l'expérience démontrent que le casque de métal peut sauver la vie, ce qui convainc les soldats de l'adopter.
Bibliothèque et Archives Canada, RG9 III-C-3, vol. 4142, dossier 7, chemise 6
Ordres permanents de tranchées, 29 septembre 1915
Le respect des consignes décrites dans les ordres permanents de tranchées peut signifier la vie ou la mort pour un soldat dans les tranchées.
La vermine
Diagramme des chambres de fumigation
Une des façons dont les autorités militaires réagissent au problème de la vermine est en créant et en installant des chambres de fumigation, où sont placés les vêtements des soldats après la lessive. La fumigation doit, en théorie, éliminer les parasites, mais les témoignages de soldats suggèrent plutôt que cette mesure n'a pas toujours le résultat escompté. Ces chambres de fumigation se trouvent dans les camps, derrière les tranchées.
Bibliothèque et Archives Canada, NMC-0112996
Un des problèmes les plus désagréables auquel ont fait face les soldats était celui de la vermine, plus spécifiquement celui des poux. Un soldat pouvait se trouver recouvert de poux moins de quarante-huit heures après son arrivée au front. Outre le désagrément quotidien, les poux causaient des problèmes de santé plus graves. Vers la fin de la guerre, des études démontrèrent que les poux étaient généralement responsables de la fièvre des tranchées, une maladie qui a attaqué un très grand nombre de soldats. Les autorités militaires ont donc dû déployer des efforts d'ingénierie afin de tenter de remédier à la situation.
Rester en santé
Plus intangible que le danger posé par les armes allemandes, les soldats avaient à faire face à un ennemi tout aussi dangereux : la maladie. Les conditions de vie dans les tranchées, l'humidité, le froid, une nourriture insuffisante et peu variée causaient toute une myriade de problèmes de santé dont le plus grave était celui du pied de tranchées. Le pied de tranchées était une condition occasionnée par un port prolongé des bottes dans des tranchées mouillées et froides. Jamais sec, le pied souffrait d'engelures qui faisaient gonfler et craquer la peau. Dans les pires cas, le soldat pouvait y laisser des orteils ou même le pied au complet. Très rapidement, les autorités militaires ont dû prendre des mesures afin de prévenir ce type de problème.
Dans la même veine, certains soldats ont souffert de la bouche de tranchées ou stomatite de Vincent, une infection causée essentiellement par la transmission de microbes par la nourriture, des ustensiles mal nettoyés ou l'échange de pipes ou de cigarettes. Des mesures d'hygiène furent mises en place pour prévenir ce problème trop fréquent dans les tranchées.
Bibliothèque et Archives Canada, PA-149311
Cas de pieds de tranchées chez un soldat de la Première Guerre mondiale
(sans doute un Canadien), France, 1917
Cette photo illustre un cas extrême de pied de tranchées.
Bibliothèque et Archives Canada, RG9 III-B-2, vol. 3615, dossier (25/4/2-25/6/2)
Lettre de la compagnie Lawson & Co. au directeur général des services médicaux au sujet de la fièvre des tranchées et des poux, 25 mars 1918
Lorsque des études démontrent que les poux sont généralement responsables de la fièvre des tranchées, de nombreuses compagnies tentent de convaincre les autorités militaires des qualités de leurs produits pour éliminer ce parasite. Cette lettre de la compagnie Lawson & Co. cherche à faire valoir les mérites du produit Para-Quit.
Bibliothèque et Archives Canada, RG9 III-B-2, vol. 3615, dossier 25/7/1-25/7/6
Ordre de service courant général concernant la prévention d'engelures aux pieds chez les soldats, 11 octobre 1915
Dès 1915, les trop nombreux problèmes causés par le pied de tranchées nécessitent l'intervention des autorités militaires qui désirent prévenir le problème en établissant des ordres sur les précautions à prendre pour éviter les engelures. Une façon de faire est de frotter les jambes et les pieds à l'aide d'huile de baleine, reconnue pour garder les membres au chaud plus longtemps.
Bibliothèque et Archives Canada, RG9 III-B-2, vol. 3615, dossier 25/7/1-25/7/6
Rapport du colonel G.L. Foster, sous-directeur du Service de santé, sur le cas de soldats souffrant du pied de tranchées, 11 novembre 1915
Ce rapport sur la présence du pied de tranchées dans les rangs et sur la prévention de ce problème dénote l'importance de cette condition médicale aux yeux des autorités militaires.
Bibliothèque et Archives Canada, RG9 III-B-2, vol. 3615, dossier 25/4/2-25/6/2
Document du directeur du Service de santé sur le problème de la stomatite de Vincent, vers 1917
Ce document décrit le problème de la stomatite de Vincent et ses principales causes, soit le manque d'hygiène des ustensiles pour boire et manger et l'échange de pipes ou de cigarettes. La vie dans les tranchées laisse le soldat particulièrement susceptible à ce genre de problème, puisqu'il lui est impossible, dans de telles conditions, de faire la vaisselle ou de se procurer d'autres produits du tabac.
Bibliothèque et Archives Canada, RG9 III-B-2, vol. 3615, file 25/4/2-25/6/2
Lettre circulaire au sujet de la désinfection des ustensiles, 22 septembre 1917
Cette lettre circulaire mentionnée dans le rapport du directeur du Service de santé sur la stomatite de Vincent décrit les mesures d'hygiène à prendre en vue de désinfecter les ustensiles pour boire et manger et de prévenir ainsi ce type de problème médical.
Une culture de tranchées
Trop exposés pour travailler ou attaquer l'ennemi pendant le jour, les soldats profitaient de ce moment pour essayer de dormir, pour lire, pour écrire à leur famille et amis ou pour jouer aux cartes. La vie pénible des tranchées, l'ennui, le danger, la proximité des autres soldats et l'isolement de leurs familles et amis ont développé une certaine culture de tranchées. Cette culture populaire se manifestait par le biais de journaux de tranchées, où les soldats exprimaient, souvent de façon ironique, leurs sentiments face à la guerre et à leur présence au front. Certains journaux de tranchées, comme The Busy Beaver, regorgent de poèmes écrits par les soldats sur leur vie quotidienne et les désagréments du front. De nombreuses chansons, comme la très populaire Mademoiselle From Armentières ont immortalisé cette culture de tranchées.
Bibliothèque et Archives Canada, RG9 III, vol. 5081, dossier The Busy Beaver
Poème extrait du journal de tranchées The Busy Beaver, numéro de Noël, 1916
Ce poème anonyme, intitulé Trench Rhymes (rimes de tranchées), est un exemple typique du genre de poésie ironique publiée par les soldats dans les journaux de tranchées. Ces journaux, qui donnent quelques nouvelles, mais qui existent surtout pour que les soldats puissent s'exprimer, sont une forme de divertissement très populaire.
Extrait de la chanson populaire Mademoiselle From Armentières
TCette chanson est particulièrement populaire auprès des soldats de la Première Guerre mondiale. Bibliothèque et Archives Canada
Winterich, John T., Mademoiselle from Armentières, Mount Vernon, NY, Peter Pauper Press, 1953, 60 p.
John T. Winterich, 1953. Reproduction numérique et communication au public autorisées en vertu d'une licence de la Commission du droit d'auteur en collaboration avec la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (COPIBEC). Toute forme de modification, de distribution ou de mise en vente de cet extrait est formellement défendue.