Les articles de 1870

Les articles sur la rébellion de la rivière Rouge, 1870

La rébellion de la rivière Rouge a été l'une des premières crises politiques au Canada à survenir après la Confédération. Elle a menacé l'entrée du Manitoba au sein du Dominion du Canada et a gravement avivé les tensions entre anglophones et francophones dans la société canadienne. Le Canadian Illustrated News a joué un rôle pacificateur en encourageant un règlement équitable de la crise.

Les articles sur la guerre franco-allemande, 1870

Bien que la guerre franco-allemande se soit déroulée sur un autre continent, le magazine Canadian Illustrated News l'a couverte en détail. Le magazine n'a pris parti pour aucun des principaux belligérants, mais il a mis en relief le prix sans cesse croissant que la population civile devait payer. Le magazine demande à la collectivité internationale de trouver d'autres façons de résoudre les conflits que le recours à la guerre.

Canadian Illustrated News, le 15 janvier 1870

Cet article dépeint Riel comme un personnage noble et le félicite de son apport grâce auquel la rébellion a eu lieu sans effusion de sang. Par ailleurs, l'article invite le gouvernement du Canada à la modération lors de ses échanges avec les insurgés.

Vol. I, no 11, [page] 161, [col. 1]

Les troubles de la rivière Rouge
Louis Riel

Les troubles à la rivière Rouge continuent d'être un sujet captivant. L'honorable M. McDougall et sa famille, de même que les autres gentilshommes qui s'y étaient rendus pour prendre part au gouvernement du Territoire sont tous rentrés au Canada, à l'exception de M. Provencher. Le grand vicaire Thibauld est allé sur les lieux des incidents et l'on espère ardemment qu'il parviendra à calmer les Métis, dont la résistance à l'autorité canadienne aurait été fomentée par un ou deux prêtres français de la colonie. Le gouverneur Smith, de la Compagnie de la Baie d'Hudson, s'est également rendu à la rivière Rouge pour aider le gouverneur McTavish, ou plutôt pour assumer les responsabilités de ce gentilhomme, qui est présentement immobilisé en raison de problèmes de santé. Les insurgés, après avoir fait juger leurs prisonniers par la cour martiale, ont condamné quarante-cinq d'entre eux au bannissement hors du Territoire. Tous étaient des Canadiens qui venaient tout juste d'arriver sur le Territoire et qui, bien sûr, avaient collaboré activement avec le Dr Schultz dans sa tentative d'organiser une contre-révolution. Ils constituent l'ensemble du parti appelé parti « Canadian »; c'est ainsi que certains sont venus dans la colonie au cours de la saison dernière dans l'espoir d'obtenir une nomination officielle ou dans le but d'occuper des terres ou d'ouvrir un commerce. Ils ont été escortés jusqu'à la frontière où (à Pembina) l'honorable M. McDougall avait eu la prévenance de leur faire préparer des provisions, en prévision du sort qui les attendait, grâce auxquelles ils pourront

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se rendre au Canada. Quant au Dr Schultz, il est toujours gardé prisonnier de même que M. Charles Mair, ancien responsable de la paie pour les travaux routiers du gouvernement, M. Snow, chef, de la voirie, et Wm Hallet, un Métis que l'on croit être un espion de M. McDougall. On ne sait toujours pas si ces hommes sont retenus simplement comme otages ou si on les garde pour leur faire subir de graves châtiments, mais il est peu probable que les insurgés se compromettront en infligeant un châtiment plus grave que l'emprisonnement. L'honorable M. McDougall qui, dans le langage d'aujourd'hui, a été « interviewé » par des rédacteurs de nouvelles, s'est dit convaincu qu'une entente pacifique sera conclue d'ici le printemps.

Nous présentons à nos lecteurs un portrait de l'un des esprits dirigeants du mouvement. Louis Riel, qui en principe est secrétaire, serait en fait le chef et le directeur du conseil insurgé. Qu'il ait été conseillé par d'autres ou qu'il ait agi selon son propre jugement, sa conduite fait preuve de peu de tact et de discrétion. Jusqu'à maintenant, la violence a été autant que possible évitée.

Bien que les mousquets chargés pointés vers M. McDougall et son parti les aient persuadés de retraverser la frontière et bien que la maison du Dr Schultz soit « venue bien près » d'être la cible de tirs, l'insurrection n'a pas causé jusqu'à présent d'effusion de sang et on peut supposer que Riel n'a que très peu à voir dans la préservation de ce moment d'accalmie. On a eu recours à des tactiques qui, si elles n'étaient ni honnêtes, ni honorables, étaient

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du moins astucieuses. Au moment où le contre-mouvement fut organisé, les insurgés ont demandé la tenue d'une réunion de délégués où tous les partis de la colonie étaient représentés. On a affirmé qu'au cours de cette réunion on avait convenu que Riel devrait s'entretenir avec M. McDougall afin de tenter de parvenir à une entente avec lui. Puisque certaines demandes concernant les terres, le gouvernement local, les écoles et autres ont été approuvées par toutes les classes de la colonie, à l'exception des quelques Canadiens arrivés récemment qui étaient dirigés par Schultz et inspirés par Dennis, on s'attendait à ce que l'entretien entre Riel et McDougall mette fin aux troubles, démantelant ainsi le contre-mouvement, mais Riel ne s'est pas présenté pas plus qu'il n'a envoyé un représentant pour traiter avec le gouverneur. Riel et ses associés semblent faire preuve d'une « foi punique ». Les colons anglais et écossais ont sans aucun doute relâché leur surveillance pour un temps en raison de ce petit coup de finesse, et cette « inactivité magistrale » ainsi démontrée a permis de gagner suffisamment de temps pour amener cette situation dans une position telle qu'elle ne pourra pas changer avant l'été prochain, sauf si les insurgés y consentent.

Riel était le « chef dirigeant » de l'insurrection de la rivière Rouge, et pour cette raison il est à juste titre un personnage historique. Le 22 novembre dernier, en tant que dirigeant intérimaire des insurgés, il a officiellement pris possession du Registre des terres de la colonie de même que de tous les documents et les comptes appartenant au Conseil d'Assiniboia. Le gouverneur McTavish, refusant de remettre ces documents à M. Riel, a reçu la visite de six hommes armés et, n'étant pas en mesure de résister à un tel déploiement de force, n'a pas eu d'autre choix que de céder. Riel s'était auparavant installé un bureau pour lui-même dans une autre partie de l'édifice et, puisque que le gouverneur McTavish et son comptable avaient refusé de lui remettre les documents, il a emmené quelques hommes armés pour l'aider à prendre de force le registre ainsi que de nombreux livres de la Compagnie contenant leurs comptes avec le gouvernement local et avec les colonisateurs. Le registre, maintenant entre les mains des insurgés, est volumineux et constitue la base de tous les titres des terres arpentées situées à l'intérieur de la colonie. Le soulèvement semble ainsi avoir réduit à néant par la violence le règlement de la Compagnie de la Baie d'Hudson avant la date fixée pour le transfert légal de ses pouvoirs au Canada. Dans la mesure où le Canada est concerné, ses opérations effectuées à l'intérieur du Territoire, de la première à la dernière, ont été des opérations extrajudiciaires. On a investi de l'argent pour construire des routes et préserver les colons de la famine sans n'avoir obtenu aucun droit à l'intérieur du Territoire. Mais c'était une erreur que l'on pourrait facilement pardonner. Cependant, l'emploi d'arpenteurs à l'intérieur de la coloniede même que les autres préparations liées à la prise de pouvoir semblent avoir offensé de façon générale. Une lettre en provenance de Fort Garry dit ceci :

C'est une affaire qui mérite toute notre attention, dans ce cas-ci où le gouvernement fédéral est déterminé à réprimer la rébellion avec une main de fer, car le début des opérations militaires à la rivière Rouge ne sera que le commencement de troubles partout dans le pays des Indiens. La colonie a tellement de liens avec toute la Terre de Rupert que le déclenchement d'une guerre civile signifiera l'éclatement d'une conflagration qui, tout comme les feux des Prairies, dévastera le pays, gagnant en force à chaque avancée et devenant de plus en plus irrésistible au fur et à mesure que ses ravages s'étendront. Il deviendra impossible de distinguer les combattants des non-combattants, comme c'est le cas pour les troubles qui sévissent actuellement. Les recrues involontaires seront intimidées et contraintes de porter à l'épaule un mousquet pour servir une cause commune. Cela peut aboutir en conséquence au sacrifice de vies humaines sur une grande échelle.

Il est à espérer qu'une calamité aussi terrible n'atteindra pas la colonie.

Louis Riel est un jeune homme possédant de grandes habiletés. Il est originaire de la Terre de Rupert, où il a été élevé. On dit qu'il fut un temps où on le destinait à la prêtrise; si cela est vrai, l'idée a été abandonnée. Il fut commis commercial à St. Paul, au Minnesota, et dans le passé il a fait de l'agriculture dans une ferme près de Winnipeg. Il parle très bien le français et l'anglais et, comme nous l'avons mentionné précédemment, on dit de lui qu'il est l'âme dirigeante des insurgés.

 

Canadian Illustrated News, le 9 avril 1870

Cet article indique que le Canadian Illustrated News, à ce moment-là, appuyait totalement l'expédition dirigée par le gouvernement pour libérer la Terre de Rupert et capturer Riel. Le Canadian Illustrated News allait continué à prôner la primauté du droit sur les actes justiciers.

Vol. I, no 23, [page] 358, [col. 1]

Les troubles à la rivière Rouge
Louis Riel

La confirmation que donnaient les nouvelles de l'exécution de Scott à Fort Garry le 4 du mois dernier a jeté une ombre sur l'espoir d'une entente pacifique permettant de mettre fin aux troubles à la rivière Rouge. On aurait pu pardonner le fait que la Compagnie de la Baie d'Hudson tentait de jouer le rôle du gouvernement alors qu'elle était impuissante et que le Canada n'avait aucun pouvoir de se substituer à la Compagnie; les tribunaux de droit et d'équité auraient pu s'occuper des pillages, des confiscations et des emprisonnements abusifs perpétrés par Riel et ses associés au cours de l'hiver. Cependant, lorsqu'on exerce la plus haute fonction d'un pouvoir exécutif – comme expédier un de ses semblables à une mort ignoble et soudaine après un procès devant un simulacre de tribunal des plus arbitraires du gouvernement moderne –,c'est alors la fin du marchandage avec les auteurs du crime. L'exécution de Scott est un crime lâche et elle a été perpétrée d'une manière des plus barbares. Le journal New Nation, dont nous citons la version des faits, s'abstient – peut-être par honte – de décrire la dernière scène; il a dit simplement : « il est tombé », mais il n'a pas ajouté qu'il gisait encore bien vivant dans son cercueil, où il a survécu encore une heure avant que la mort vienne mettre fin à ses souffrances. D'autres individus de Fort Garry donnent davantage de détails, mais il n'est pas nécessaire de s'étendre ici sur les incidents liés à cette triste tragédie.

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Les « crimes » perpétrés par Scott, ceux qu'invoque la New Nation, auraient valu, dans des régions civilisées, un emprisonnement maximal de 24 heures dans le « trou noir ». Il a été fait prisonnier en décembre dernier, mais il s'est évadé quelques semaines après avec plusieurs autres prisonniers. Au moment où il entreprenait le portage, Scott faisait partie du groupe de Boulton, soit quarante-cinq hommes forts, qui a été capturé et livré au Fort. Dès lors, il est devenu « violent et injurieux dans son langage et dans ses attitudes » et il a eu l'inqualifiable audace « de harceler et d'injurier les gardes ». On a également dit qu'il avait menacé Riel de mort et affirmé qu'il avait autrefois été à sa recherche avec l'intention de le tuer. Même en tenant toutes ces déclarations pour vraies, et même en admettant que pour faire un exemple Riel avait le pouvoir d'ériger une cour martiale pour juger Scott, sa condamnation à mort pour de telles offenses demeure un acte de barbarie outrageuse. La reine d'Angleterre, les empereurs de France et de Russie et d'autres têtes couronnées d'Europe sont non seulement menacés, mais ils sont aussi la cible d'attentats réels; pourtant ils ne condamnent pas à mort les auteurs de ces attentats. Si Scott avait proféré de telles menaces envers Riel au Canada, en dépit de toute absence de provocation, la sentence raisonnable aurait été que l'accusé soit relâché à la condition qu'il garde la paix pendant six ou douze mois.

Toutefois, la forme du procès a été un peu moins extraordinaire que ses résultats. Le « tribunal de l'adjudant général Lépine » a mené le procès en français, langue que le prisonnier ne connaissait pas, et ce n'est que le 3 qu'il a été « informé de la triste décision », soit qu'il serait fusillé le jour suivant à 10 h. On a fait appel à l'influence cléricale et laïque, y compris celle du commissaire Smith, pour tenter d'obtenir le pardon de Riel ou même un sursis de quelques jours jusqu'à l'arrivée de l'archevêque Taché, mais Riel a refusé. Il a cependant accordé un sursis de deux heures et a « ordonné que tous les soldats soient rassemblés avant l'exécution et que l'on devrait prier pour l'homme condamné ». Il peut être charitable d'offrir des prières ou « d'ordonner » que l'on prie pour l'homme que l'on s'apprête à assassiner délibérément, mais lui épargner la vie et le laisser tirer les conséquences de ses actes n'aurait porté aucun outrage à la religion ni à la morale.

Cette affaire entravera l'issue de la politique conciliatoire menée jusqu'ici par le gouvernement et approuvée de manière générale par le peuple canadien. Il est déjà prouvé que les commissaires envoyés d'Ottawa à Fort Garry n'ont fait que très peu ou rien du tout pour parvenir à une entente, et s'il devait s'avérer, comme ce sera probablement le cas, que Riel a subtilement retenu les membres de la délégation nommée à la Convention des représentants du peuple dans le but de les mandater en tant qu'agents au nom de son gouvernement, nous ne voyons pas comment les ministres à Ottawa peuvent les recevoir. Toute action de la part des autorités du Dominion qui appuierait la procédure d'une reconnaissance du gouvernement de Riel non seulement serait dérogatoire à l'honneur du Canada, mais pourrait s'avérer extrêmement embarrassante dans la mise en œuvre des mesures auxquelles en fin de compte on doit recourir pour restaurer le pouvoir de la Reine dans le Nord-Ouest. L'exécution de Scott a compliqué ces questions à un degré difficilement observable. On aurait pu fermer les yeux sur la plupart des actes qu'avaient posés les insurgés en dépit de leur caractère illégal, parce qu'ils étaient relativement insignifiants et facilement pardonnables en se soumettant à l'autorité de la Reine lorsque la déclaration d'annexion du territoire au Canada entrera en vigueur. Les procédures civiles nées des transactions personnelles à l'intérieur du territoire au cours de l'hiver ne doivent pas entraîner de failles politiques et la solution pacifique que tous espéraient aurait pu être tout à fait possible. Cependant, même s'il peut le faire, Riel ne quittera pas la chaise présidentielle pour une cellule de criminel et le gouvernement de la Reine ne peut tolérer l'exécution de ses sujets sans appliquer une loi en bonne et due forme; ainsi, il semble que rien n'a été fait en ce sens si ce n'est l'envoi d'une expédition militaire au printemps et l'annexion officielle du Territoire avec le Canada par proclamation de la Reine, suivi d'un tel déploiement de force que le respect de l'autorité sera assuré. Certaines personnes proches de la population disent que le parti de Riel demeure encore minoritaire, mais que les autres qui n'ont pas les moyens de s'organiser ni de nommer légalement un officier exécutif pour les diriger sont obligés de provoquer une guerre civile et, en cela, ils ont tout à fait raison. Les quelques contre-attaques qui ont déjà été menées – toutes aussi illégales que celles de Riel – n'ont donné que de mauvais résultats et nous espérons ardemment, en dépit de la colère qu'a provoquée l'exécution de Scott, que rien ne sera tenté d'ici à ce qu'une personne mandatée par la Commission royale soit là pour la diriger.

Canadian Illustrated News, le 23 juillet 1870

Cet article traite des divergences entre les objectifs réels de la guerre et les raisons invoquées. Il aborde aussi les conséquences de la guerre et prédit que, à moins que les gouvernements ne prennent des mesures concrètes, cette guerre, ou la prochaine, enflammera toute l'Europe.

Vol. II, no 4 [page] 54 [col. 1]

L'Europe est maintenant sur le point d'entreprendre une lutte qui promet, selon toute apparence, d'être la plus sanglante et la plus destructrice que le monde n'ait jamais connue. La France, d'un côté, et la Prusse, appuyée par la Confédération d'Allemagne, de l'autre, sont de force presque égale en population, en ressources et en compétence militaire à un point tel que ce serait un miracle si l'une ou l'autre triomphait, sauf après une lutte acharnée et au coût d'énormes sacrifices. Il est probable qu'un million d'hommes de chaque camp seront conduits au champ de bataille et, bien que la Prusse possède un plus grand effectif, soit 1 200 000 hommes contre environ 1 035 000 pour la France, les possibilités d'augmenter les armées sont largement suffisantes des deux côtés et l'esprit des populations, si nous nous fions aux télégrammes, s'enflamme à l'idée de la guerre. Mais le combat peut difficilement être confiné à ces deux camps. Le Danemark, qui est encore ébranlé par le souvenir de la perte des duchés, est supposé être un grand allié de la France et est prêt à frapper un grand coup contre la Prusse. La neutralité que témoignent la Belgique, la Hollande et la Suisse en dépend peut-être, quoique la violation du territoire de la Belgique par la France ou la Prusse puisse sans aucun doute pousser la Grande-Bretagne à entrer en guerre. En effet, on dit que des troupes britanniques seront mises en garnison en Belgique. Quant à l'attitude de l'Italie, elle demeure incertaine, bien que la sagesse politique soit de demeurer complètement neutre, non seulement en raison d'une obligation envers les deux pays combattants, mais aussi parce qu'elle peut devoir faire face à une révolution chez elle. On a également indiqué que l'Australie se joindra à la France et, si tel est le cas, la Russie, à moins qu'elle n'ait l'intention de faire une descente sur la Turquie, se joindra probablement à la Prusse. Cependant, si les autres puissances européennes se tenaient à l'écart, la Russie et l'Angleterre demeureraient probablement neutres.

Et pour quelles raisons cette terrible guerre dont la préparation a rebattu les oreilles du monde entier a-t-elle lieu? La première raison de la rupture est l'offre du trône vacant d'Espagne au prince Léopold de Hohenzollern. Les négociations qui avaient pour but de placer le prince allemand sur le trône d'Espagne ont été menées si secrètement entre Prim, d'une part, et Bismarck, d'autre part, que le monde entier les ont ignorées jusqu'à ce que les préliminaires soient arrangés. La France a protesté énergiquement contre cette voie envisagée et en a appelé au roi de Prusse, qui est à la tête de la royauté de la famille Hohenzollern, pour qu'il empêche cette candidature. Le roi a d'abord refusé d'intervenir, ne voulant pas assumer les responsabilités liées à cette affaire, mais comme les événements ont rapidement pris une tournure dramatique, le prince Léopold, sur les conseils de son père, a retiré officiellement sa candidature. Jusqu'ici, toutes les grandes puissances étaient avec la France et contre la Prusse, mais malheureusement l'affaire ne s'est pas terminée là. La France a demandé à la Prusse de renoncer officiellement à toute prétention à la couronne d'Espagne de la part de tout prince allemand, ce à quoi la Prusse, quelque peu indignée, s'est refusée, et quand l'ambassadeur de France a manifesté le désir de s'entretenir avec Sa Majesté prussienne à Ems, il a essuyé un refus. À cela s'ajoute le fait que la Prusse a eu la courtoisie d'informer les différentes puissances, à l'exception de la France, que le ministre français avait été destitué. Ce geste, selon le ministre français, M. Ollivier, a convaincu la France d'abandonner les négociations et de dégainer l'épée.

 

Voilà la première raison de la querelle. Pour la France, son véritable objet consiste en la
« rectification de la frontière rhénane ». Quant à la Prusse,

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il est tout aussi certain qu'elle désire profondément humilier la France et étendre son empire territorial. Le London Times déclare que « la reconquête de l'Alsace et de la Lorraine, qui comprennent les provinces modernes de Moselle, de Meurthe, de Meuse et des Vosges, ainsi que le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, constituent le véritable enjeu de la guerre pour la Prusse et, en cela, l'humanité la soutient ». Toutefois, nous voyons difficilement pourquoi « le soutien de l'humanité » devrait être aussi chaleureusement assuré pour la  « reconquête » de l'Alsace, qui est sous la domination de la France depuis plus de deux cents ans, ou de la Lorraine, qui appartient à la couronne française depuis plus d'un siècle, pas plus que nous ne voyons pourquoi la Prusse peut avoir le droit de revendiquer ces provinces. Néanmoins, le journal anglais a sans aucun doute raison lorsqu'il dit que la Prusse a ses raisons d'aller en guerre contre la France, en dehors de toute question relative à la couronne d'Espagne. Cette question, c'était l'« aiguillon » adroitement manipulé par Bismarck pour piquer Napoléon et l'envie de ce dernier était apparemment trop grande pour laisser passer cette occasion. En effet, tous deux cherchent le conflit avec une feinte déguisée et il est difficile de dire lequel d'entre eux est le plus coupable. Depuis la fin de la guerre entre l'Autriche et la Prusse, la possibilité d'un combat entre cette dernière et la France est envisagée. Toutefois, assez singulièrement, tout au début du mois en cours, on a pu voir poindre cette probabilité, beaucoup plus d'ailleurs qu'au cours des mois précédents. Le 30 juin, le ministre français a proposé qu'on diminue considérablement les effectifs de l'armée, réduction à laquelle M. Thiers, qui depuis a condamné cette menace de guerre, s'est par la suite opposé parce que cela aurait pour conséquence de saper la force morale de la France en Europe. Quelques jours après l'annonce de la candidature de Léopold au trône d'Espagne, et bien que le 14 ou le 15 de ce même mois il se soit retiré, le 18, le bruit que la guerre serait déclarée courait déjà de Paris à Berlin!

Est-ce que cette même célérité sera une caractéristique de cette guerre? Cela dépendra en grande partie si elle peut se limiter aux deux puissances principales. Si tel est le cas, et que les deux s'en sortent, ce qu'elles feront sans aucun doute, quoique complètement épuisées, peu importe qui remportera la victoire, l'Europe sera au moins assurée d'un avenir de paix à long terme. Les plans de la Russie sont uniquement dirigés vers l'est et, à l'exception de la Russie, la Prusse et la France sont les deux puissances dont les desseins et les plans ambitieux pour leur propre expansion menacent continuellement la paix en Europe et imposent aux nations d'énormes fardeaux fiscaux liés à l'organisation militaire. Il est souhaitable que ces deux pays soient des puissances, mais ce serait un malheur si l'un des deux obtenait une très grande prépondérance sur l'autre. Dans ce cas, les autres nations y seraient sans aucun doute mêlées et le conflit qui a débuté entre la France et la Prusse prendrait de l'ampleur à un point tel qu'il atteindrait les dimensions d'une guerre européenne. Peut-être même que le continent des Amériques participera à cette guerre, puisque les habitants des États-Unis sont partis au loin en raison de la politique de non-intervention de leurs pères. L'amertume manifestée en Angleterre envers la France et l'opinion générale si librement exprimée qui disait qu'il n'y avait aucun motif de déclarer la guerre indiquent certaines possibilités désagréables. Le maintien de la neutralité de la part de la Grande-Bretagne sera difficile dans tous les cas. Toutefois, si la Prusse faiblit, est-il probable que la Grande-Bretagne se tienne en état d'alerte et la regarde se faire battre à plates coutures, croyant que le conflit était injustement dirigé contre elle? Lorsque la Prusse et l'Autriche ont pillé les duchés du Danemark, la France et l'Angleterre ont protesté contre le vol, mais ont permis que cela se poursuive. Elles ont agi selon la raison diplomatique disant qu'il était préférable que le Danemark souffre de quelques injustices plutôt que l'Europe tout entière soit en guerre. Aujourd'hui, toutes deux souffriront de cette folie. La Prusse a emporté la totalité du butin et il en a découlé la guerre austro-allemande. Aujourd'hui, nous avons ainsi comme résultat de la victoire extraordinaire remportée par la Prusse au terme de cette guerre une autre guerre qui naît de l'ambition incendiaire des Prussiens et de la jalousie suscitée chez les Français. L'Autriche est devenue prudente après sa défaite. La Prusse a consolidé ses forces et s'est préparée à de nouvelles conquêtes, et Napoléon, voyant l'erreur d'avoir permis à la Prusse de devenir aussi puissante, était impatient d'avoir un prétexte pour l'attaquer. Ce prétexte est là et ce sera maintenant dans l'intérêt de l'Angleterre de veiller à ce que sa victoire, si victoire il y a, ne soit pas trop importante, autrement, au lieu d'une seule guerre générale meurtrière et épuisante qui serait très certainement suivie d'une longue période de paix, l'Europe continuera d'être victime périodiquement d'importants duels à l'échelle nationale, tels que ceux qui ont été si fréquents au cours des vingt dernières années. Si l'Angleterre et la France avaient appuyé le Danemark et qu'on leur eût servi sur un plateau d'argent les deux grandes puissances allemandes, la France n'aurait pas aujourd'hui de raisons de se mesurer à l'épée avec la Prusse et l'Angleterre, d'aller au-devant des graves bouleversements qui aujourd'hui la menacent.

Canadian Illustrated News, le 19 novembre 1870

Cet article traite plus en détail du rôle des autres nations dans le conflit. Il blâme la collectivité internationale de ne pas avoir pris dès le début des mesures pour éviter le déclenchement des hostilités.

Vol. II, no 21 [page] 325, [col. 1]

 

Alors que le conflit se poursuit entre la France et la Prusse, les risques que l'Europe se mêle à ces pays semblent s'accroître. Londres commence à s'énerver en raison de l'attitude de Saint-Pétersbourg. Vienne craint toujours une attaque de Berlin et Constantinople n'a été délivrée des mains des Turcs que dans le seul but d'être livrée aux Moscovites. Pendant ce temps, il faut avouer que les victoires de la Prusse

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ne suscitent plus la sympathie du monde entier. Au contraire, il semble que, alors que la France acquiert la simple capacité négative d'endurance, elle est en train de gagner la bienveillance des autres pays, et la Prusse, au départ acclamée en tant que conquérante, revêt déjà le masque d'un tyran. Il est très probable que la Russie fera de cette guerre une occasion de rejeter quelques-unes des clauses du traité de Paris avec l'intention de

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préparer la voie à une autre campagne contre la Turquie. Les conséquences d'une telle campagne seraient des plus graves pour l'Angleterre et pourraient aboutir à une seconde guerre de Crimée. Quelques personnes, dont les opinions ont un poids considérable, ont qualifié la guerre de Crimée de bourde monumentale du côté de l'Angleterre et ont dénoncé le fait que brandir le Croissant était un crime contre le christianisme, mais les ruses politiques traditionnelles de la Grande-Bretagne

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ont fait passer une autre doctrine. L'Empire ottoman est considéré comme l'un des obstacles à l'invasion russe à l'Est, et son maintien, comme la véritable clé de l'équilibre du rapport des forces en Europe. Nombreux sont ceux qui se souviennent, avec effroi, des paroles prononcées par Napoléon, à savoir que « dans cent ans l'Europe sera russe ou cosaque », et ils verront dans cette présente guerre une puissance aidant à réaliser l'une de ces prédictions. Jusqu'à maintenant, la République a triomphé, elle a été proclamée et a tenu plus de deux mois, mais on ne peut toutefois affirmer qu'elle est déjà instaurée en France. Par ailleurs, l'affaiblissement de la France et de la Prusse – et toutes deux s'épuisent avec une rapidité effarante – constitue un certain avantage pour la Russie, et cet avantage s'est rapidement accru par des ajouts positifs à la puissance de guerre de l'Empire. Il est possible que la Russie ne craigne qu'une chose, soit que la Prusse sorte de cette guerre encore plus forte et qu'elle envahisse ses provinces de l'Ouest dans la perspective d'achever « l'unification » des races germaniques, mais ce n'est là qu'une explication plausible des raisons qui auraient amené le tsar à mettre son armée sur le pied de guerre. En Angleterre, on semble croire de façon générale que l'« homme fou » de Constantinople est une fois de plus l'objet de sa sollicitude et la question soulevée consiste à savoir si oui ou non l'Angleterre devrait faire intervenir ses forces afin de protéger l'intégrité de l'Empire ottoman. Si cet empire devait tomber, cette chute serait indubitablement un gain de cause pour la suprématie cosaque et aiderait, peut-être, à l'accomplissement de la grande prédiction de Napoléon. La doctrine de « l'équilibre du rapport des forces » devenant une pure fiction, il semble qu'il ne reste plus rien pour régler les relations nationales, sauf si ce n'est la loi de la force : « Le bon vieux principe / L'ancien plan / De choisir celui qui est au pouvoir / Et de rester avec celui qui peut l'avoir. »(trad.)

Nous ne pouvons pas dire qu'il y ait une chance de voir un progrès humain sur le plan du développement national sous un tel régime. Il existe très certainement des moyens d'équilibrer le rapport des forces en Europe autres que celui que l'on disait être le meilleur après la défaite de Napoléon Ier, et les changements indubitables sur la carte du monde continueront, dans l'avenir, d'être monnaie courante, comme cela a été le cas dans le passé. Il est tout de même regrettable que les nations soient encore incapables de résoudre de simples conflits sans avoir recours aux armes, et la faute incombe apparemment moins à ceux qui, pour des questions d'intérêt ou de fierté nationale, deviennent des participants actifs au sein du conflit qu'aux puissances neutres qui, n'étant que de simples spectateurs, pourraient réussir à empêcher une guerre en s'unissant. Si l'Angleterre, la Russie et l'Autriche, pour ne pas mentionner l'Italie ni les autres puissances plus petites, n'avaient déclaré avec insistance que toutes leurs forces seraient dirigées contre le premier parti s'opposant au conflit d'Hohenzollern, qui fut l'une des causes de cette guerre, l'Europe connaîtrait la paix aujourd'hui. En fait, un sentiment de lâcheté revêtant la forme d'un principe de non-ingérence a aliéné la politique internationale à l'échelle mondiale et, jusqu'à présent, aucun homme sage ne saurait dire où les nations seront entraînées dans la folle danse commencée de manière irréfléchie et absurde entre la France et la Prusse en juillet dernier et qui risque de connaître une issue très dramatique, sinon fatale, pour ces deux nations.

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