« Le Canadian Illustrated News et la rébellion de la Rivière Rouge (d'octobre 1869 à août 1870) » - Canadian Illustrated News, 1869-1883

par Sean Sullivan

Table des matières

Introduction

La période qui a suivi immédiatement la Confédération a été un temps d'incertitude pour le Canada. Presque chaque incident qui s'est produit a aggravé les divisions linguistiques, culturelles et géographiques existantes ou a attisé les grandes craintes d'annexion aux États-Unis. La rébellion de la rivière Rouge englobait alors toutes ces questions. Elle a démontré l'influence de l'écrit sur la perception publique et demeure l'un des événements centraux de l'histoire canadienne.

Comme tous les journaux canadiens importants du temps, le magazine Canadian Illustrated News (le News) a observé avec grand intérêt l'insurrection de la colonie de la rivière Rouge et de son chef métis controversé, Louis Riel. L'intérêt réside dans la façon dont les perceptions du magazine en ce qui a trait à la révolte changeaient avec le temps et en quoi le tout différait des comptes rendus des autres journaux de l'époque. Par opposition aux autres journaux qui faisaient l'éloge de Riel et de ses partisans ou qui les condamnaient, le Canadian Illustrated News cherchait à conserver son objectivité et encourageait de façon constante la modération plus que le châtiment.

Bref aperçu de la rébellion de la rivière Rouge

En 1869, une entente a été conclue avec la Compagnie de la Baie d'Hudson concernant le transfert de la Terre de Rupert, dont faisait partie la colonie de la rivière Rouge, au gouvernement du Canada. Toutefois, les habitants de la colonie de la rivière Rouge n'étaient pas préparés à un changement subit. Il subsistait quelques questions importantes. Quelle forme la nouvelle administration civile prendrait-elle? Quand assumerait-elle le contrôle? Pourquoi ne consultait-on pas la population de la Terre de Rupert pour discuter de l'entente? Enfin, ce que la population trouvait de plus déconcertant était la nouvelle vague de colons canadiens et américains qui déménageaient dans la nouvelle zone, se traduisant par un souci grandissant quant à savoir si les droits de la communauté de la rivière Rouge seraient préservés et ses réclamations de terrain, honorées. Pour sa part, la Compagnie de la Baie d'Hudson et le gouvernement canadien faisaient peu pour calmer ces peurs.

Les colons métis constituaient le plus gros pourcentage de la population de la rivière Rouge. Ils étaient d'ascendance française et autochtone. Pour eux, la préservation des droits était une question d'une importance particulière. Leur héritage mixte en faisait une cible de sectarisme racial et de discrimination.

La dissidence était si grande au sein de la population de la rivière Rouge en octobre 1869 qu'un groupe de Métis, sous la direction de Louis Riel, a empêché une délégation canadienne de pénétrer dans le territoire. William McDougall avait été envoyé par le gouvernement canadien pour assumer le poste de lieutenant-gouverneur à la suite du transfert officiel des territoires sous le contrôle du Canada. Riel a fait en sorte aussi que les experts du gouvernement ne puissent pénétrer dans la Terre de Rupert. La rébellion de la rivière Rouge venait de commencer.

Le 8 décembre 1869, les Métis ont formé un gouvernement provisoire et Louis Riel a proclamé la « Déclaration du peuple de la Terre de Rupert et du Nord-Ouest ». Riel, qui n'était auparavant que le secrétaire du mouvement métis, a assumé formellement les fonctions de chef le 27 décembre, quand le président John Bruce a démissionné.

Toutefois, le règne de Riel a été de courte durée. En mars 1870, il a commis une erreur fatale. En réponse à la résistance à laquelle il faisait face, Riel a mis à mort un prisonnier du nom de Thomas Scott pour insubordination. Scott, nouveau colon originaire de l'Ontario, était un partisan de l'entrée du Manitoba dans la Confédération et un bruyant opposant de Riel. La mort de Scott a rendu les Canadiens anglais furieux et ceux-ci ont réclamé l'exécution de Riel. Même ceux qui avaient été favorables à Riel par le passé avaient peine à comprendre pourquoi il avait ordonné la mort d'un homme qui, en fin de compte, n'était coupable que d'insolence et d'injure. La mort de Thomas Scott a constitué un tournant décisif pour la rébellion. Après cet événement, Riel et ses partisans feront face à du ressentiment et même à de l'hostilité au moment de négocier une entente avec le gouvernement canadien.

Quelques jours seulement après l'exécution de Thomas Scott, le gouvernement provisoire a relâché la plupart des prisonniers qui restaient en échange de la promesse que les droits des colons de la rivière Rouge seraient protégés. En outre, le 8 avril, Fort Garry est revenu sous la domination de la Compagnie de la Baie d'Hudson jusqu'à ce que le transfert formel aux autorités canadiennes soit fait. En juillet 1870, le gouvernement provisoire a accepté d'entrer dans la Confédération et l'on a créé la province du Manitoba.

Dans cette affaire, Riel pensait obtenir une amnistie pour le meurtre de Scott. Toutefois, comme l'expédition militaire venant de l'Est approchait de la colonie, il est devenu évident que les miliciens, avec l'appui écrasant des anglophones de l'Ontario, cherchaient à venger l'exécution de Thomas Scott. Ce fait a été illustré plus tard par les dires du commandant de l'expédition, le colonel Garnett Wolsely :

J'étais content que Riel ne soit pas venu se rendre comme il a dit qu'il le ferait, parce que je n'aurais pas pu le pendre comme j'aurais pu le faire si je l'avais fait prisonnier quand il a pris les armes contre son souverain 1. (trad.)

Se rendant compte que sa liberté, et peut-être sa vie était en danger, Riel s'est enfui en août pour éviter d'être arrêté, au moment où l'expédition arrivait à la rivière Rouge.

Quinze années ont passé avant que Riel capte encore l'attention de la nation en menant une autre rébellion dans le Nord-Ouest. Cette fois-ci, il ne s'échappera pas et le gouvernement canadien le fera pendre pour ses actions.

Opinions divergentes au sujet de la rivière Rouge publiées dans la presse écrite

Les journaux de l'Est avaient de la difficulté à obtenir de l'information précise sur ce qui arrivait à la rivière Rouge. Il n'y avait pas de télégraphe ni d'autres formes de communication reliant l'Est et l'Ouest. La plupart des journaux devaient se fier au bouche à oreille. Par conséquent, la majorité des reportages parvenant de la rivière Rouge prenaient parti pour ou contre la révolte. La plupart des journaux de l'Ontario recevaient leur information d'Ontariens vivant désormais à la rivière Rouge. Ils représentaient les colons empressés de faire partie du Canada. Les journaux du Québec décrivaient ces mêmes Ontariens comme des intrus qui essayaient d'exercer une influence indue sur la population de la colonie2. Les journaux américains, espérant favoriser la séparation du Manitoba du reste du Canada, rapportaient que Riel avait l'appui de presque toute la communauté de la rivière Rouge3.

Les perceptions diverses véhiculées par les médias par rapport aux conditions régnant à la rivière Rouge définissaient comment les segments de la population canadienne réagissaient envers Riel. Croyant que les colons de la rivière Rouge avaient hâte de se joindre la Confédération, les Ontariens pouvaient seulement supposer que Riel les dirigeait avec une main de fer. The Sarnia Observer le qualifiait de « tyran4 ». Même avant que Thomas Scott soit tué, les journaux anglophones condamnaient fortement les actions du Métis. L'une des déclarations les plus incendiaires a paru dans le Niagara Mail du 12 janvier :

Laissez le gouvernement fédéral offrir trois ou quatre cents acres de terre à chaque volontaire canadien qui montera à la rivière Rouge le printemps prochain et nous trouverons assez de braves types pour mettre Riel et ses partisans sous terre 5. (trad.)

Inondés de déclarations emportées comme celle-là, les Ontariens sont devenus inflexibles quant à l'arrestation de Riel, surtout après l'exécution de Thomas Scott.

Les Québécois étaient en désaccord avec cette opinion car, à leur avis, le but premier de l'Ontario était la disparition du catholicisme français dans l'Ouest6. L'une des doléances les plus outrancières a été faite contre William McDougall. En janvier 1870, ce qui suit a paru dans Le Journal de Québec : « Ils (McDougall) sont allés jusqu'à dire qu'il avait fait mettre à mort deux prêtres et insulté un évêque7. » (trad.) Avec de tels reportages, il n'est pas surprenant que les francophones aient été plus favorables aux efforts de Riel. L'échec des médias à trouver un consensus les a amenés à jouer un rôle important dans l'ampleur de la crise à la rivière Rouge en exacerbant les tensions entre les anglophones et les francophones. Le Canadian Illustrated News a constitué une exception digne d'être notée.

Le Canadian Illustrated News et l'image de Riel dans la presse écrite

Le fondateur et premier éditeur du magazine Canadian Illustrated News (le News) était Georges Desbarats. À cause de ses origines françaises, Desbarats ne voulait pas s'aliéner ses lecteurs, principalement ceux de langue anglaise, ou son patrimoine en publiant des opinions arrêtées sur la question de Riel. Pendant que d'autres journaux anglophones diffamaient Riel, le News a choisi d'adopter un point de vue plus modéré. D'après ses reportages, le News en est venu apparemment à admirer le chef métis. En janvier 1870, le magazine parlait des avantages de pacifier la Terre de Rupert et d'établir un gouvernement stable qui encouragerait la Colombie-Britannique à se joindre à la Confédération et non aux États-Unis. Cependant, ils félicitaient Riel de mener l'insurrection sans effusion de sang. Louis Riel, mentionnait-on dans l'un des reportages, « est un homme d'une habileté considérable8 » (trad.).

Comme l'information sur la révolte dans l'Ouest tardait à atteindre l'Ontario, les reportages du Canadian Illustrated News ne semblaient pas rendre compte de la gravité de la situation. Toutefois, un changement s'est amorcé à la fin de janvier. Le 29 janvier, le News a commenté ainsi la révolte : « ...la situation évolue de façon telle qu'elle tend à montrer que c'est plus sérieux que ce que l'on n'avait anticipé jusqu'ici9. » (trad.) Toutefois, alors que les autres magazines blâmaient soit la Compagnie de la Baie d'Hudson ou le gouvernement canadien pour le traitement incorrect de l'affaire, le News n'a pas choisi de bouc émissaire. Il a plutôt encouragé la négociation pour mettre fin à la rébellion rapidement.

La plupart des historiens seraient d'accord pour dire que l'exécution de Thomas Scott a été la plus grosse bavure de Riel. Andrew Begg, un des premiers spécialistes à écrire au sujet de la rébellion, a insisté sur le fait que, si Riel s'était abstenu de faire couler le sang, il n'aurait pas subi l'exil10. Même des journaux modérés comme le News se sont durcis contre le chef métis. Le 9 avril, le journal écrivait : « L'exécution de Scott est un meurtre lâche et a été faite d'une façon des plus barbares11. » (trad.) Le News insistait sur le fait que, même si Scott avait été coupable des crimes dont on l'accusait, il ne méritait pas la mort. Après cet incident, le News est devenu un partisan enthousiaste de l'expédition visant à libérer la rivière Rouge.

Même si le News commençait à devenir intransigeant à l'égard de Riel, il préconisait encore la modération envers le peuple métis : « ...la presse ne devait pas permettre les attaques acrimonieuses et insultantes contre les gens de la rivière Rouge12. » (trad.) Le News reconnaissait que, si les Métis étaient conscients de la grande hostilité qu'on avait à leur égard, cela pourrait les inciter à prendre les armes contre l'expédition militaire qui approchait de la colonie. Le News sentait que toute question potentiellement controversée devrait être mise de côté jusqu'à ce que le gouvernement canadien ait pris le contrôle de la rivière Rouge.

Il est probable que la question la plus litigieuse qui ait été soulevée à la suite de la rébellion de la rivière Rouge a été la question de l'amnistie des chefs métis. Une fois de plus, le Canadian Illustrated News a pris une position impartiale. Le journal a insisté sur le fait que, si le gouvernement voulait accorder l'amnistie, il n'avait pas de fondement juridique lui permettant de le faire avant qu'il y ait eu condamnation. Comme la colonie de la rivière Rouge ne faisait pas partie du Canada au temps de la révolte, le gouvernement canadien n'avait même pas le pouvoir d'accuser les dirigeants rebelles au premier chef13. À la fin, le News est demeuré un fervent partisan de la primauté du droit sur la justice du justicier.

Conclusion

À une époque où la majorité des journaux canadiens avaient une appartenance politique évidente, le Canadian Illustrated News (le News) réussissait à se dissocier des réactions émotionnelles dans un effort pour conserver son objectivité. Par opposition aux nombreux autres journaux de l'époque, il avait une vive compréhension de sa capacité d'influencer l'opinion publique sans abuser de ce pouvoir. Durant une crise qui aurait pu mal tourner, le News a eu une influence apaisante, réprimant les feux du malaise.

Représentations de la rébellion de la rivière Rouge dans les images

L'une des premières images de Louis Riel apparaissant dans le Canadian Illustrated News (le News) a été publiée dans le numéro du 15 janvier 1870. Ce portrait dessiné à la main montre Riel exhibant un manteau de fourrure et des peaux de daim et portant un fusil coiffé d'un chapeau en raton laveur ou en castor. Riel porte un étui de revolver et un couteau attachés autour de la taille. Toutefois, en guise de symbole de son héritage métis, il mêle la mode européenne et les vêtements autochtones, comme le laisse voir le nœud papillon sous son manteau. Le visage de Riel est sévère et déterminé. Comme il ne porte pas la barbe, il n'est pas rasé de près. Sa posture représente un homme rude et inflexible.

Dans l'ensemble, l'illustration montre Riel comme le pionnier par excellence du XIXe siècle, semblable à son homologue américain Davey Crockett. L'artiste semble donner à Riel une apparence héroïque et noble14.

Sur la couverture du numéro du 23 avril 1870, le News a publié un dessin de l'exécution de Thomas Scott. Si Riel n'y est pas représenté, l'image projetée de son régime est tout à l'opposé de l'illustration précédente publiée quelques mois plus tôt seulement. Le dessin est conçu pour que le lecteur soit choqué par sa brutalité. Le visage de Scott repose sur le sol les yeux bandés et sans défense. Du sang s'écoule de sa tête. L'attitude, l'expression et l'habillement du tireur évoquent l'image d'un hors-la-loi. La réaction des hommes de Riel à son exécution est lourde de sens. À en juger par leur visage et leur posture, la plupart sont horrifiés par ce meurtre. Cela pourrait être une tentative subtile de la part de l'artiste d'isoler Riel de son peuple, dans l'esprit des Ontariens, en le représentant comme un homme insensé qui règne par la terreur15.

Un an après l'arrivée de l'expédition de la rivière Rouge au Manitoba, le News publiait des croquis faits durant le voyage. Plutôt que d'esquisser les aspects éreintants et ardus du voyage, le News a préféré se concentrer sur les moments plus agréables. Les illustrations montrent des hommes faisant la cuisine autour d'un feu ou faisant du portage. Dans la plupart des dessins, les hommes paraissent de bonne humeur et semblent s'amuser en accomplissant leurs tâches. Quelques-uns des croquis sont même cocasses16. Cela donne un éclairage plus plaisant sur ce qui, à ce moment-là, était un voyage difficile, voire dangereux.

Notes de bas de page

1. J. M. Bumsted, The Red River Rebellion (Toronto : Watson and Dwyer, 1996), p. 217.

2. A. I. Silver, « Nineteenth Century News Gathering and the Mythification of Riel », Images of Louis Riel in Canadian Culture, Ramon Hathorn, Patrick Holland, dir. (Lewiston : Edwin Meller Press, 1992), p. 67.

3. Ibid., p. 74.

4. The Sarnia Observer, 25 février 1870, cité dans Fate, Hope and Editorials, Helen Elliot, dir. (Ottawa : Canadian Library Association, 1967), p. 107.

5. Niagara Mail, 12 janvier 1870, cité dans Fate, Hope and Editorials, Helen Elliot, dir. (Ottawa : Canadian Library Association, 1967), p. 89.

6. Ibid., p. 81.

7. Le Journal de Québec, 3 janvier 1870, no 202, p. 2.

8. Canadian Illustrated News, 15 janvier 1870, vol. I, p. 162.

9. Canadian Illustrated News, 29 janvier 1870, vol. I, p. 194.

10. Andrew Begg, The Creation of Manitoba or a History of the Red River Troubles (Toronto : Hunter Rose Co., 1871), p. 304.

11. Canadian Illustrated News, 9 avril 1870, vol. I, p. 358.

12. Canadian Illustrated News, 25 juin 1870, vol. I, p. 534.

13. Ibid., p. 534.

14. Canadian Illustrated News, 15 janvier 1870, vol. I, p. 161, ill.

15. Canadian Illustrated News, 23 avril 1870, vol. I, p. 385, ill.

16. Canadian Illustrated News, 26 août 1871, vol. IV, p. 136, ill.

Sources consultées

Sources de première main

  • Canadian Illustrated News, vol. I, et IV.
  • Le Journal de Québec, 3 janvier 1870, no 202.

Sources de seconde main

  • Begg, Andrew. The Creation of Manitoba or a History of the Red River Troubles, Toronto : Hunter Rose, 1871.
  • Bumsted, J. M. The Red River Rebellion, Toronto : Watson and Dwyer, 1996.
  • Desbarats, Peter, dir. Canadian Illustrated News : a Commemorative Portfolio, vol. 1 : Historical Introduction, Toronto : McClelland and Stewart, 1970.
  • Elliot, Helen, dir. Fate, Hope and Editorials, Ottawa : Canadian Library Association, 1967.
  • Silver, A. I. « Nineteenth Century News Gathering and the Mythification of Riel », Images of Louis Riel in Canadian Culture, Ramon Hathorn, Patrick Holland, dir., Lewiston : Edwin Meller Press, 1992.
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